Un banlieusard et une campagnarde pensent la mode

Clément Poplineau a 33 ans, habite à Bruxelles et est artiste peintre depuis une quinzaine d’années. Pur produit de la région lyonnaise, je me suis entretenue avec lui autour d'une question cruciale : quel lien peut-on faire entre la mode et les banlieues ?

Parce qu’il vient de banlieue et moi-même du fin fond de la campagne picarde, nos univers d’origine nous donnent un point commun : être l’outsider dans deux des milieux parmi les plus élitistes : l’art et la mode. Si la campagne est parfois plus épargnée que la banlieue grâce à son côté pittoresque, nos deux mondes semblent identiques sur bien des aspects. Que ce soit par rapport à l’accès aux armes, à la drogue ou le rapport à la violence, la seule différence se crée entre le béton et les champs.


Parce qu’au final, on a la même vocation.

Ma raison d’être chez Expect, c’est de rendre la mode accessible. C’est notamment ce que j’essaye de faire via le Focus Pub en donnant les codes communicationnels nécessaires pour décrypter une campagne de mode. Alors, quand je demande à Clément quelle est sa vocation à travers son art, sa réponse fait clairement écho à mon propre parcours. 

“C’est vrai que je fais l’éloge de l’individu que je ramène à sa manière de s’habiller comme représentation sociale. Je pense que les personnes que je peins et ceux qui regardent mes peintures ont différents modes de vie. Chaque segment souffre d’une inculture et d’un manque d’ouverture réciproque. Il faut rétablir le dialogue et faire découvrir à l’un quelles sont les coutumes de l’autre.”

Rétablir le dialogue : oublier les lexiques compliqués, les attitudes codées et être simple. Parce que l’art ou la mode, c’est une expression de la créativité à laquelle chacun est légitime d’apporter sa contribution.“ Pour faire un film, t’as juste besoin d’un truc qui filme ” répète Orelsan. Pour Clément, les choses étaient claires : peindre était sa vocation, sa passion et sa raison d’être depuis toujours.

Fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis.

Le streetwear, autrefois associé à la délinquance ou à l’anti-mode, est aujourd’hui au cœur des tendances : et c’est en grande partie grâce au rap. Jogging, hoodies, casquettes, sneakers, bijoux voyants… Ce vestiaire, hérité des quartiers, a été propulsé sur les podiums par les rappeurs eux-mêmes, devenus icônes de style. La rencontre entre rap et mode a bouleversé les hiérarchies, Virgil Abloh chez Louis Vuitton, Pharrell aujourd’hui à la tête de la même maison, ou encore les multiples collaborations entre Nike et Travis Scott ou Suprême et Lacoste, en sont des symboles forts. Le streetwear est devenu une forme d’expression légitime, voire un nouveau langage du luxe. Une revanche sociale, en somme, mais pas toujours assumée.

“Il y a une double influence marquée mais déséquilibrée. Les marques s’inspirent de la banlieue sans prendre soin de cette clientèle. C’est une forme de rejet assez malsaine. Pendant des années, Lacoste a essayé de se dissocier des rappeurs pour ensuite se les réapproprier. Gucci, c’est pareil. Ils font des collaborations avec des marques comme Adidas, qui parlent à cette clientèle. Mais lorsque cette dernière est un peu trop présente dans leurs ventes, ils la rejettent et augmentent le prix des accessoires d’entrée de gamme. C’est un jeu maladroit et malhonnête.” explique-t-il.

La logomania, symbole ultime des quartiers?

L'émergence du Quiet Luxury ces dernières années s’oppose totalement au motif répété et apparent. Une façon, encore une fois, de créer un fossé entre le bon et le mauvais goût. En misant sur la qualité des textiles et non plus sur l’importance de la connaissance de la marque, les règles changent en défaveur des quartiers.

"La question à se poser, c’est surtout qu’est-ce que le bon goût ? Qui décide de ce que c’est ?” relève-t-il avec justesse. « En dehors d’un sentiment d'appartenance, montrer un logo ou pas, c’est juste une question de marqueur social. Ce sont souvent des articles d’entrée de gamme, qui seront évidemment onéreux pour ces populations-là, mais accessibles. C’est un acte qui paraît assez ridicule pour certains alors que c’est rempli de sens. Parce qu’un t-shirt à 450€, c’est déjà une somme énorme et tout de suite on passe pour le pauvre des riches. Mais, dans son propre environnement, on gagne une sorte de statut”.

Au-delà de la marque.

La question que je me pose alors c’est : pourquoi ? Pourquoi continuent-ils de donner autant de considération à des acteurs qui les rejettent en permanence ? Je dois alors élargir ma pensée en allant au-delà de la relation marque-client. C’est bien plus profond. Il s’agit effectivement d’un sentiment d’identification, d’appartenance, mais qui se situe à un autre endroit. 

“Les marques ne sont pas responsables des représentants informels. Le rap est tellement répandu aujourd’hui que ce sont des porte-drapeaux officieux. C’est l’environnement qui provoque un sentiment d’appartenance : on veut ressembler à nos modèles. Il y a un énorme parallèle entre vêtements et rappeurs, les marques n’y peuvent rien.”

Les ambassadeurs sont partout.

Si Clément représente cette ambivalence au travers de son art, il se trouve que son rôle de peintre l’amène sur un terrain sur lequel il ne pensait pas avoir un rôle à jouer.

“Les marques jouent de ces codes, un clip fait des millions de vues comparé à une campagne publicitaire. La façon de faire de la publicité a changé et même à ma propre échelle je le vois bien. Une marque m’a déjà envoyé des vêtements en me proposant de les porter lors de mes expositions, on est tous un support des marques à notre échelle. » conclut-il.




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