Mathias Kissi, entre terre et runway
INTERVIEW. S’il est aujourd’hui mannequin, Mathias Kissi est avant tout paysagiste. Il y a deux ans, il fait une rencontre qui l'amène à faire ses premiers catwalks sur les défilés de Fashion Week. Elisa Samourcachian est partie à sa rencontre pour transmettre son expérience et ses conseils pour devenir mannequin.
Comment as-tu commencé dans le mannequinat ?
Mathias Kissi : C’est arrivé un peu par hasard en décembre 2023. J’étais à ma salle de sport à Villiers-le-Bel, et j’y ai rencontré le fondateur de GDFK Paris. On s’est ensuite vu à Paris, on a pris des polaroïds, puis il m’a demandé de faire quelques allers-retours comme pour un défilé et m’a expliqué ce qu’était le milieu de la mode, que je ne connaissais pas du tout. Je me suis lancé, un peu sans réfléchir. J’avais déjà eu pas mal de remarques du style « tu devrais faire des photos, tu es différent », surtout à cause de mes tâches de rousseur et de mon attitude. Et puis très vite, tout s’est enchaîné.
Quel a été ton premier défilé ?
Juste après la Fashion Week de janvier-février 2024, j’ai été contacté par un directeur de casting. Il a proposé mon profil à Louis Gabriel Nouchi, qui a validé. C’était mon premier défilé, et ça s’est vraiment bien passé. À partir de là, tout a commencé.
Tu venais d’un milieu complètement différent, non ?
Oui, totalement. À la base, je suis paysagiste. Je travaille dans les jardins, c’est ma vocation première. Le mannequinat, c’était une découverte. J’y suis allé sans stress, sans attente particulière. J’ai vu autour de moi des jeunes qui enchaînaient les castings, parfois vingt d’affilée, debout depuis tôt le matin. C’est un milieu où il faut être persévérant, ne rien lâcher et dire oui à un maximum d’expériences.
Tu es aujourd’hui représenté par une agence ?
Après mon premier défilé, j’ai rencontré plusieurs agences. Celle avec qui j’ai eu le meilleur feeling, c’est Select Model Paris.
Comment est-ce que tu arrives à concilier ton métier de paysagiste et le mannequinat ?
Il faut être flexible : un jour on me demande d’être à un défilé à 18h, et le lendemain à 11h à l’autre bout de Paris. Heureusement, en tant que chef d’entreprise, j’organise mon planning. La Fashion Week tombe souvent en juin, une période plus calme pour moi, donc ça s’équilibre bien.
Tu disais que tes tâches de rousseur ont longtemps été un complexe ?
Plus jeune, c’était difficile. Les enfants sont méchants entre eux, j’ai souvent eu des remarques. Aujourd’hui, c’est devenu une force, une marque d’identité. Les gens me reconnaissent, on me dit souvent que ça me rend unique. Il m’a fallu du temps pour l’accepter. Maintenant, j’en suis fier.
Est-ce que tu te considères comme un mannequin “différent” ?
Oui, à la fois par ma peau et par ma morphologie. Je suis « plus size », je n’ai pas le corps type du mannequin standard. Je représente une diversité, celle des gens “réels”. Et ça plaît à certaines marques. Louis Gabriel Nouchi, par exemple, accorde beaucoup d’importance à l’inclusion et à la manière dont on se sent dans les vêtements. J’ai aussi travaillé avec Octobre Éditions, qui adapte les coupes pour différents corps. C’est une belle évolution dans la mode.
Quelle était ton image de la mode avant d’y entrer ?
Comme beaucoup, j’avais une image très stéréotypée. Pour moi, la mode, c’était pour les femmes minces, parfaites, avec beaucoup de pression. Et c’est vrai que du côté féminin, cette pression existe beaucoup plus. Chez les hommes, c’est plus détendu : on nous accepte plus facilement “tels qu’on est”. Mais pour tous, l’important, c’est d’être soi-même. Ne pas changer pour rentrer dans un moule.
Tu dis souvent que l’attitude compte plus que le physique ?
Exactement. Il y a des mannequins qu’on rappelle non pas parce qu’ils ont la “bonne” morphologie, mais parce qu’ils ont une bonne énergie sur le set. Ils mettent tout le monde à l’aise, ils valorisent les vêtements. Le mannequinat, c’est aussi une question de présence et de comportement.
As-tu déjà eu des expériences difficiles ?
Oui, forcément. Par exemple, une fois, on m’a mis des lentilles noires pour un défilé de Rick Owens, et l’une m’a griffé la cornée. J’ai fini avec un cache-œil pendant trois jours ! Il y a aussi les moments d’inconfort physique : rester debout des heures, porter des chaussures trop petites, ou enchaîner les poses. C’est plus dur qu’on ne croit.
Et des bons souvenirs ?
Beaucoup. Mais le shooting pour Jacquemus à Deauville reste incroyable. Tout était parfaitement organisé, on nous traitait aux petits soins, c’était presque irréel. Et surtout, j’y ai rencontré des mannequins devenus amis. Il y a aussi un défilé où on nous a mis du baume du tigre sous les yeux pour nous faire pleurer sur scène ! On ne nous avait pas prévenus, on riait et on pleurait en même temps.
Tu as déjà refusé des shootings ?
J’ai refusé une photo où on voulait qu’on voie la raie de mes fesses. Je ne trouvais pas ça beau, ni nécessaire. Pour moi, il faut pouvoir assumer chaque photo qu’on fait. Si je ne peux pas la montrer sans gêne, je préfère dire non.
Ton rapport aux vêtements a-t-il changé ?
Totalement. Avant, c’était juste utilitaire. J’achetais les mêmes sweats en trois couleurs. Aujourd’hui, je m’intéresse à la matière, à l’histoire du vêtement. Je préfère avoir peu de pièces, mais de qualité, intemporelles et durables. Je déteste la fast fashion. Je veux que chaque vêtement ait un sens, une histoire.
Si tu pouvais défiler pour n’importe quelle marque ?
Je n’ai pas de rêve précis. Si ça arrive, tant mieux, mais je ne cours pas après les grandes maisons. J’aimerais surtout défiler pour des marques de mes amis, ou pour des petites maisons qui ont des valeurs fortes. Et pourquoi pas lier la mode et la nature, mon univers de paysagiste. Par exemple, défiler dans un jardin, ou créer des vêtements stylés pour le travail manuel, ce serait top !
Comment est-ce que tu te prépares avant un défilé ?
Je n’ai pas de “routine” stricte. Le plus important, c’est dire bonjour à tout le monde, mettre une bonne ambiance, parler avec les autres mannequins. Ça détend. Je m’hydrate beaucoup aussi, ça aide pour la peau et pour le stress.
Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui veut devenir mannequin ?
Soyez poli, ponctuel, respectueux. Ayez confiance en vous, mais restez humbles. Sociabilisez-vous : parlez avec les coiffeurs, les maquilleurs, les photographes. Ce sont eux qui peuvent vous recommander. Acceptez les petits projets : figuration, shootings étudiants, écoles de photo… tout compte. Et surtout, ne cherchez pas à changer qui vous êtes. La différence, c’est votre force.